1) La demande tendant à ce qu’il soit sursis à statuer en attendant que les juridictions administratives aient statué sur la légalité d’une autorisation d’urbanisme doit être formulée, dans le cadre d’une action en démolition au titre de l’article L 480-13 du code de l’urbanisme, devant le juge de la mise en état et dès le moment où une requête est introduite devant les juridictions administratives.
2) L’article L 480-13 du code de l’urbanisme limite la compétence du juge judiciaire pour prononcer la démolition de l’ouvrage que si le permis de construire a été annulé de manière définitive par les juridictions administratives et que la construction a été réalisé dans l’une des zones listées au sein de ce même article.
3) Si des demandes de dommages intérêts peuvent être formulées à l’encontre du constructeur au titre de l’article L 480-13 2° du code de l’urbanisme, ce n’est qu’à la condition que le permis ait été annulé pour excès de pouvoir ou si son illégalité a été constatée par les juridictions administratives.
Si une même demande peut être formulée à l’encontre de toute personne au titre de l’article 1382 du code civil, c’est à la condition qu’une faute soit démontrée et qu’il existe en préjudice certain et actuel en lien direct avec celle-ci.
Par arrêté en date du 17 décembre 2009, Monsieur D… a été autorisé à réaliser une maison d’habitation sur le territoire d’une Commune de la Manche.
Des habitants de ladite Commune ont saisi le Tribunal Administratif de CAEN d’une requête en annulation à l’encontre de cet arrêté.
Si les juges de première instance ont conclu au rejet de cette requête, la Cour Administrative d’Appel de NANTES, saisie du litige, a prononcé l’annulation du Jugement attaqué ainsi et de l’arrêté en date du 17 décembre 2009.
La construction était néanmoins achevée à la date à laquelle ont statué les juges d’appel.
Un nouvel arrêté a été pris le 17 juillet 2014, accordant un permis de construire à Monsieur et Madame C…, nouveaux propriétaires de la maison édifiée, pour une construction identique.
Saisi d’une requête en annulation à l’encontre de cet arrêté, le Tribunal Administratif de CAEN a par Jugement en date du 6 mai 2015, rejeté les demandes formulées par les mêmes voisins.
Si cette affaire a été portée devant la Cour Administrative d’Appel de NANTES, elle ne s’est pas encore prononcée sur la légalité de ce dernier arrêté.
Certains voisins ont néanmoins saisi le Tribunal de Grande Instance de COUTANCES le 3 avril 2014 sur le fondement des articles 1382 du code civil et L 480-13 du code de l’urbanisme aux fins d’ordonner la démolition de l’ouvrage réalisé et de condamner Monsieur et Madame C… ou à défaut la SARL D… à leur verser la somme de 50.000€ de dommages et intérêts.
Ceux-ci ont par ailleurs demandé, au sein de leurs écritures postérieures de février 2015 et 2016, qu’un sursis à statuer soit adopté dans l’attente de la décision de la Cour Administrative d’Appel de NANTES.
Le Tribunal de Grande Instance de COUTANCE a procédé en trois temps.
1) Il a ainsi tout d’abord considéré, au visa des articles 378, 73 et 771 du code de procédure civile, que la requête enregistrée devant le Tribunal Administratif était postérieure à leur assignation devant les juridictions civiles, de sorte qu’ils ne pouvaient valablement pas soulever le sursis à statuer avant leur défense au fond.
Néanmoins, le Tribunal considère qu’il leur revenait de soulever l’exception d’incompétence tenant à la procédure initiée devant le Tribunal Administratif dès l’introduction de leur requête devant cette juridiction, et ce devant le juge de la mise en état.
Or, cette demande n’apparait que dans les écritures de février 2015, après défense au fond, et n’a pas été faite devant le juge de la mise en état, qui a compétence exclusive pour statuer sur cette exception de compétence.
Il en conclut que la demande de sursis à statuer sollicitée après défense au fond, et devant le Tribunal de Grande Instance, alors que la cause de cette demande est postérieure à la saisine du juge de la mise en état, doit être déclarée irrecevable.
2) S’agissant de la demande de démolition, il est rappelé que l’article L 480-13 du code de l’urbanisme limite la compétence du juge judiciaire pour prononcer la démolition de l’ouvrage que si le permis de construire a été annulé de manière définitive par les juridictions administratives et que la construction a été réalisé dans l’une des zones listées au sein de ce même article.
En l’espèce, le Tribunal relève d’une part, que si le premier permis de construire a été annulé de manière définitive, il n’est est pas de même pour le second permis, qui lui est toujours valide.
Il est ajouté que même si celui-ci parait similaire, il n’intervient pour autant pas dans les mêmes circonstances ni avec les mêmes parties et le Tribunal Administratif de CAEN n’a pas opposé l’autorité de la chose jugée lorsqu’elle a eu à connaitre de la seconde autorisation.
Aucune décision définitive ne permet donc à ce jour d’établir l’illégalité de celle-ci, qui seule, pourrait mener la juridiction judiciaire à prononcer la démolition de la construction.
En tout état de cause et d’autre part, il est précisé que les pièces versées au débat ne permettent nullement de justifier que la construction se trouverait dans l’une des zones limitativement listées à l’article L 480-13 du code de l’urbanisme.
C’est ainsi que la demande de démolition de la construction a été rejetée.
3) Concernant enfin les demandes de dommages et intérêts formulées par les voisins, celles fondées sur l’article L 480-13 2° ont été rejetées d’une part en ce qu’elles étaient dirigées contre les nouveaux propriétaires du bien puisque le 2° dudit article ne vise que les constructeurs, et d’autre part en ce qu’elles étaient dirigées contre ledit constructeur, puisque le second permis n’a pas été annulé ou déclaré illégal.
Il en a été de même pour celles fondées sur l’article 1382 du code civil, puisqu’aucune faute de la part de Monsieur et Madame C… et de la SARL D… ne pouvait être identifiée : le fait pour les premiers de déposer une nouvelle demande de permis de construire, alors qu’ils connaissaient l’issue de la procédure engagée à l’encontre de l’arrêté 2009 ne suffit pas à démontrer une faute.
La faute de la SARL D… n’est pas non plus justifiée, d’autant plus que la procédure initiée devant les juridictions administratives était dirigée contre Monsieur D… et non la SARL D…, ayant une personnalité juridique distincte, à laquelle il est aujourd’hui demandé réparation.
Ainsi, faute d’établir en quoi cette société, qui a vendu la maison à Monsieur et Madame C… aurait commis une faute avec le préjudice qu’ils allèguent, les voisins se sont vus déboutés de leurs demandes à l’encontre de cette société.
En tout état de cause, le Tribunal considère que les demandeurs ne justifient pas d’un préjudice certain et actuel en lien direct avec une faute ; les juges judiciaires se sont ici notamment fondés sur le fait que le Tribunal Administratif de CAEN avait jugé, le 6 mai 2015, que les requérants n’avaient pas intérêt à agir au titre de l’article L 600-1-2 du code de l’urbanisme – leur maison d’habitation se situe en effet à 410 mètres du projet et en sont séparés par des prés entrecoupés de haies bocagères et d’arbres de haute tige.
Cachée du voisinage par lesdites haies, la construction ne saurait être perçue comme une cause de dégradation de leur environnement ou de leur condition d’occupation et de jouissance de leur lieu de vie ; aucun élément produit ne justifiait par ailleurs d’une baisse de fréquentation du gîte des requérants et leur épuisement causé par les actions en justice qu’ils ont dû intenter ne peut justifier l’existence d’un quelconque préjudice moral, dès lors qu’ils ont eux-mêmes exercé les actions dont ils se plaignent des effets.
C’est ainsi que l’ensemble des demandes indemnitaires formulées par les voisins ont également été rejetées.
Références : TGI COUTANCES, 3 novembre 2016, affaire n°14/00814
Mots clés : Action en démolition, L 480-13 du code de l’urbanisme, dommages et intérêts, 1382 du code civil